Il est bien préoccupé par la paix durable et la bonne gouvernance dans son pays le Bénin. Le politologue, ancien officier supérieur des forces armées beninoises et professeur de sécurité internationale à New Jersy City University Juste Codjo à travers cet entretien nous fait part de ses analyses sur deux sujets d’actualités principaux au Bénin. Au terme de son développement, il fait deux recommandations pour l’aménagement des règles électorales aux fins d’élections inclusives et apaisées en 2026.
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Organiser trois élections (législatives, communales et présidentielle) la même année. Est-ce une bonne option ?
Sur le principe, je dirais qu’il s’agit plutôt d’une bonne option. Aller à des élections tous les deux ou trois ans, comme on le faisait, me parait être un poids trop lourd pour un pays en voie de développement. Cette consolidation du cycle électoral, à mon avis, permettrait de focaliser toute l’énergie des électeurs et des acteurs politiques autour d’une seule au lieu de plusieurs années électorales pendant un quinquennat par exemple.
Le cadre juridique (charte des partis politiques et code électoral) mis en place vous rassure-t-il quant à la bonne tenue de ces scrutins ?
Il y a huit ans, juste après les résultats du second tour de l’élection présidentielle de 2016, j’avais fait une série de sorties médiatiques pour proposer des idées de réforme des institutions politiques au Bénin. J’avais d’ailleurs publié un livre sur cette question en mai 2016. Même si je n’ai jamais été consulté par les autorités béninoises, le constat est clair que plusieurs dispositions de la charte des partis et du code électoral sont inspirées de certains principes du modèle Consencratie que j’ai proposé dans mon livre. Il est regrettable que le modèle n’ait pas été adopté dans son ensemble et, surtout, que l’adoption de ces instruments importants pour la gouvernance politique de notre pays n’ait pas fait l’objet d’un consensus général comme je l’ai recommandé dans le livre.
Pour revenir de façon plus spécifique à votre question, je dois avouer que je suis personnellement un peu inquiet par rapport aux scrutins de 2026.
Une frange du personnel politique et plusieurs acteurs de la société civile craignent un scénario waxala du fait de certaines dispositions du code électoral. Partagez-vous leurs appréhensions ?
Je ne sais pas ce que vous mettez dans le terme « scénario Waxala » mais il y a sans doute des raisons d’être inquiet. Comme nous l’avions vu en 2021, la question du parrainage demeure une source d’inquiétude. Si cette question est mal gérée, cela pourrait conduire à de nouveaux troubles sociopolitiques.
Par ailleurs, les allégations d’intention de coup d’Etat pesant actuellement contre des proches du président Talon, si elles sont confirmées, seraient aussi un élément révélateur important. Loin de vouloir prendre parti, l’analyste que je suis ne peut s’empêcher de voir dans ces allégations (si confirmées bien sûr) des signes d’un verrouillage hermétique du jeu électoral à travers certaines dispositions du code électoral. En général, les acteurs politiques, surtout quand ils sont proches du pouvoir en place, ne nourrissent pas des intentions de coup d’Etat s’ils ont la certitude d’avoir des alternatives pour accéder au pouvoir par la voie des urnes. C’est donc cela qui m’inquiète véritablement.
Comment entrevoyez-vous la présidentielle de 2026 ? Avez-vous le sentiment que ce sera une élection ouverte ?
Comme je l’ai dit plus haut, je reste inquiet par rapport à la présidentielle de 2026 particulièrement. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire une lecture stratégique du contexte géopolitique qui entoure cette élection. Nous savons que le Bénin devient de plus en plus la convoitise de quelques puissances étrangères ayant perdu de leur influence au Sahel. Les investissements faits par ces puissances au cours des deux dernières années impliquent un besoin de continuité dans leur politique de coopération avec le Bénin. Ensuite, le régime en place souhaite sans doute aussi une continuité. A ce contexte géopolitique il faut ajouter l’instauration des règles électorales restrictives telles que la nécessité de parrainage et l’obligation des élus de ne parrainer que les candidats de leur parti politique.
Quand vous mettez ensemble tous ces éléments, vous vous rendez donc compte que l’enjeu des élections présidentielles de 2026 est très grand, peut-être même plus grand que par le passé, aussi bien pour les acteurs nationaux que ceux de l’extérieur. Dans une telle dynamique, cette élection sera probablement une élection soigneusement contrôlée. Je ne serai d’ailleurs pas surpris de voir le président Talon se porter candidat à la vice-présidence de la République pour garantir cette continuité dont je parlais. Après tout, la constitution est restée muette sur la possibilité pour les anciens présidents de se porter candidats à la vice-présidence.
Quid des législatives où les partis devant y participer ont l’obligation d’obtenir au moins 20% des suffrages dans chaque circonscription électorale pour siéger à l’Assemblée nationale ?
Comme je l’ai mentionné plus haut, j’avais proposé une série de réformes institutionnelles à l’avènement du régime Talon en 2016. J’avais, par exemple, proposé une règle de représentativité ethno-géographique pour inciter les partis politiques à de grands rassemblements qui transcendent durablement leurs bases ethniques ou géographiques traditionnelles. Pour être représenté au parlement, avais-je proposé, un parti politique devrait obtenir des sièges dans chacune des grandes régions administratives du pays (sept au total suivant mes propositions). Le 30 mars 2016 précisément, j’avais évoqué ces idées lors d’un débat-télévisé entre Monsieur Orden Aladatin et moi sur la chaîne Sikka TV. Il m’avait alors répondu ceci : « Ce que vous proposez est hors de la République. Vous savez, Patrice Talon ne peut pas venir avec son nouveau départ se mettre hors de la République. »
Curieusement, c’est Mr Aladatin qui, devenu plus tard président de la Commission des lois au parlement, se fait aujourd’hui l’avocat de cette condition de représentativité dont il avait pourtant rejeté une version plus souple et plus réaliste en 2016. En exigeant des partis politiques une obtention de 20 % des suffrages dans chacune des 24 circonscriptions du pays, ils sont allés trois fois plus loin que ce que j’avais proposé en 2016.
Ma crainte est que cette nouvelle règle électorale n’aille à l’avantage exclusif que des deux partis majeurs de la mouvance présidentielle. Ces deux formations politiques ont aujourd’hui un avantage organisationnel, structurel et géographique sur leurs compétiteurs. C’est pour cette raison que j’avais, dans mes propositions, insisté que ce type de réforme se fasse de façon consensuelle dans un processus qui donne les mêmes chances à tous les partis au départ. La leçon que j’en tire est que nous ne devrions pas laisser ces réformes importantes aux seuls soins des acteurs politiques. Les citoyens et les organisations de la société civile devraient s’y impliquer davantage.
Si on devait faire des réajustements au code électoral, que proposeriez-vous ?
Je ne cesserai jamais de le dire : procéder à des toilettages de notre système de gouvernance ne suffira malheureusement pas. Il faut profondément réformer le système dans son ensemble. Et le processus de réforme devrait impliquer, non pas seulement les acteurs politiques, mais aussi l’ensemble de la société béninoise. Il y a beaucoup de béninoises et de béninois, de l’intérieur comme de la diaspora, qui sans doute souhaitent participer à l’animation de la vie politique du Bénin. Mais beaucoup d’entre eux s’abstiennent, probablement parce qu’ils ne s’identifient pas aux pratiques politiques en cours depuis plusieurs décennies. Mon souhait est qu’un jour les Béninois puissent se donner la chance de rebâtir les institutions de gouvernance du pays de façon non-partisane et consensuelle.
Pour 2026 plus particulièrement, je rêve de voir la société béninoise se mobiliser pour exiger un engagement des candidats aux prochaines élections (présidentielles, législatives et communales) à organiser un dialogue national « bottom-up » (de la base au sommet) pour réformer notre modèle de gouvernance et rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions du pays. Cela aiderait à créer des conditions durables pour une gouvernance plus productive et plus inclusive. Mais ce rêve, j’imagine, pourrait paraitre illusoire aux yeux d’un peuple préoccupé plus par le pain quotidien que par la mise en place d’un système de gouvernance qui résisterait au temps et aux tentatives de manipulation des acteurs politiques appuyés par leurs mécènes. Je me contenterai donc de vous laisser avec deux recommandations majeures pour un aménagement des règles électorales aux fins d’élections inclusives et apaisées en 2026.
Premièrement, à défaut de soustraire le parrainage du dispositif institutionnel, il est impératif de le réformer de sorte que les élus puissent, de façon indépendante et souveraine, parrainer les candidats de leur choix. A la veille des élections présidentielles de 2021, j’avais par exemple proposé d’instaurer un conclave de parrainage réunissant tous les élus et au cours duquel ils exprimeraient leur choix à travers des bulletins secrets.
Deuxièmement, à défaut d’instaurer la condition de représentativité ethno-régionale pour les élections législatives comme proposé dans mon modèle Consencratie, il serait plus réaliste de réaménager, à la baisse, les règles exigeant l’obtention de 20 % de suffrage dans chacune des 24 circonscriptions du pays. Pourquoi ne pas, par exemple, limiter la condition de représentativité à un nombre minimum de circonscriptions dans chacune des trois régions du pays que sont le septentrion, le centre et le sud ? Mais là encore, ces réaménagements devraient se faire par consensus.