La décision de la Cour constitutionnelle du Bénin déclarant conforme à la constitution la dernière version du code électoral suscite des interrogations à plusieurs égards.
Ici je me contenterai de me prononcer brièvement sur quelques aspects de la décision liés au parrainage. Il est important de garder à l’esprit que mes observations n’ont absolument rien de politique et qu’elles visent simplement à susciter un débat utile pour la postérité.
*Résumé des arguments de la Cour par rapport au parrainage*
Dans sa décision, la Cour déclare conformes à la constitution les dispositions du code obligeant les députés et maires à ne parrainer, pour le compte des élections présidentielles, qu’un duo candidat soutenu par leur parti politique ou un parti ayant un accord de gouvernance avec leur parti. Elle justifie cette décision en déclarant que « La ligne du parti doit l’emporter sur les ambitions individuelles » et que chaque député/maire (à qui la constitution a pourtant accordé le pouvoir de parrainage) « conserve certes sa liberté, mais ne peut en jouir dans le cadre du parrainage qu’en conformité avec la vision et les valeurs de sa formation politique » (page 12). La Cour conclut que le code électoral « ne remet donc pas en cause la liberté de parrainer » (page 13).
Cette argumentation de la Cour suscite trois observations importantes.
*Première Observation*
Les dictionnaires définissent communément la liberté comme étant « la possibilité ou le pouvoir d’agir sans contrainte, c’est-à-dire avec autonomie ». Au regard de cette définition, si un(e) député(e)/maire est vraiment libre dans l’exercice de son droit de parrainage, il/elle devrait avoir la possibilité, sans aucune contrainte, de choisir entre trois options:
1. *Option 1*: Parrainer un duo qui pourrait se trouver être le candidat de son parti ou celui d’un parti allié ;
2. *Option 2* : Parrainer un duo qui pourrait ne pas être soutenu par son parti ou un parti allié ;
3. *Option 3*: S’abstenir de faire usage de son droit de parrainage tout simplement.
Contrairement à cette compréhension ordinaire de la notion de liberté, les dispositions du nouveau code n’accordent que les options 1 et 3 aux députés/maires. Elles leur enlèvent donc l’option 2, restreignant ainsi leur possibilité de choisir librement. En déclarant ces dispositions conformes à la constitution, la Cour vient de consacrer un nouveau concept : *la liberté encadrée*, car l’argumentaire de la Cour défie tout bon sens au regard de la définition ordinaire de la notion de liberté tout court.
*Deuxième Observation*
L’argumentation de la Cour va contre l’esprit de la constitution, relativement à l’exercice du droit de parrainage. En effet, en élaborant les règles liées au parrainage, le constituant de 2019 avait, entre autres, le choix d’accorder le droit de parrainage aux 1) partis politiques ou 2) aux individus, notamment les députés et les maires. Il a fait le choix de l’accorder aux individus plutôt qu’aux partis. Or le nouveau code, appuyé par l’argumentaire de la Cour, accorde implicitement le pouvoir de parrainage aux partis politiques (indépendamment de toutes les justifications qui pourraient être avancées). Ceci appelle donc à répondre à une question : si le constituant a fait le choix de ne pas accorder le pouvoir de parrainage aux partis politiques, ce nouveau code est-il réellement conforme à l’esprit de la Constitution s’il va contre ce choix du constituant?
*Troisième Observation*
Certains des arguments avancés par la Cour pour justifier sa décision nous interpellent par rapport à l’étendue de ses pouvoirs. Par exemple, la Cour déclare que, dans le cadre du parrainage, « La ligne du parti doit l’emporter sur les ambitions individuelles ». En faisant de telles affirmations, la Cour donne l’impression de s’ériger en donneur de leçon de morale aux élus par rapport à l’exercice de leur mandat. S’il est peut-être politiquement souhaitable que les élus transcendent leurs ambitions personnelles, est-ce vraiment le rôle de la Cour de faire de telles prescriptions? En admettant que la ligne du parti devrait l’emporter sur les ambitions individuelles en matière de parrainage, qu’en est-il des autres domaines ? Cette injonction est-elle valable pour le vote et l’action des élus en d’autres circonstances ?
Il ne s’agit là que de quelques observations que suscite la décision de la Cour. D’autres aspects de la décision suscitent aussi des interrogations. En disposant pour l’avenir, cette décision, notamment l’argumentaire qui la sous-tend, mérite un examen profond pour préserver la crédibilité de l’institution.
Juste Codjo