Chaque mois, des millions de femmes travaillent tout en affrontant douleurs, inconforts ou fatigue liés à leurs règles. Pourtant, la santé menstruelle reste largement ignorée dans les politiques d’entreprise et les réglementations au Bénin. Si des avancées sont à noter grâce à l’action des ONG, des syndicats et des pouvoirs publics, les défis restent entiers pour faire de cette réalité intime un véritable enjeu de justice sociale et de productivité.
Dans les bureaux, les marchés, les salles de classe ou les ateliers, elles sont nombreuses à souffrir en silence. Maux de ventre, migraines, nausées, vertiges ou irritabilité : les douleurs menstruelles, souvent appelées dysménorrhées, n’épargnent aucune catégorie socio-professionnelle. Pour beaucoup de femmes, ce passage mensuel est un véritable frein à leur efficacité. Mais par peur d’être jugées faibles ou peu professionnelles, elles se taisent. « Les femmes sont contraintes de faire comme si de rien n’était, même quand elles ont mal au point de ne pas pouvoir tenir debout », souligne Mme Béatrice Lima, assistante sociale à la retraite et communicatrice en santé. Interrogée sur la question, elle insiste : « Une femme à l’aise dans son corps est plus productive. Mais quand on l’oblige à cacher sa douleur, à s’adapter à des rythmes sans ménagement, on altère ses performances. ». Le sujet, bien que crucial, reste peu évoqué dans les milieux professionnels. Aucun article du Code du travail béninois ne fait mention explicite de la santé menstruelle. Les seules dispositions relatives à l’état de santé permettent d’obtenir un congé maladie sur présentation d’un certificat médical. « C’est une solution de contournement, mais elle n’est pas adaptée à la régularité du phénomène », explique Mme Lima. Dans le secteur privé, ces absences sont souvent mal vues et peuvent porter préjudice à la carrière des femmes. L’absence de cadre légal clair fait planer une forme d’insécurité sur les salariées. Certaines entreprises vont jusqu’à hésiter à recruter des femmes en âge de procréer, redoutant les absences liées à la maternité, aux soins pour les enfants… et aux douleurs menstruelles. Le manque de reconnaissance de cette réalité entraîne donc une double peine : physique d’abord, professionnelle ensuite.
Entre efforts naissants et tabous persistants
Mais si le congé menstruel reste encore hors des textes, la prise de conscience progresse. Le 28 mai, date de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, est chaque année l’occasion d’actions de sensibilisation. Au Bénin, le Ministère des Affaires sociales et de la Microfinance, à travers sa direction en charge du Genre, organise depuis quelques années des campagnes dans les collèges et les centres de formation pour jeunes filles. Ces actions, menées en partenariat avec le ministère des Enseignements secondaire et technique, visent à éduquer les jeunes filles, à améliorer leur hygiène menstruelle et à lutter contre les absences ou les abandons scolaires dus aux règles. Côté société civile, plusieurs ONG et associations sont actives sur le terrain. Menstrual Hygiene Bénin, RAES-Bénin, Educ’Action, ou encore FAWE-Bénin œuvrent à la distribution de serviettes hygiéniques, à la promotion des protections réutilisables et à l’installation de toilettes adaptées dans les établissements scolaires. Dans certaines communes, des initiatives communautaires permettent aux femmes de produire elles-mêmes leurs protections, réduisant ainsi leur dépendance aux produits importés souvent coûteux. Dans le monde syndical, la question commence aussi à émerger. Certains leaders évoquent la possibilité de négocier des aménagements raisonnables : pauses supplémentaires, accès à des espaces de repos, horaires flexibles en période de menstruations, etc. Des propositions encore timides mais encourageantes. « Il faut inscrire cette réalité dans les négociations collectives », affirme un syndicaliste du secteur public. « Si on veut garantir l’équité, il faut adapter les conditions de travail. ». Cependant, de nombreux freins subsistent. Le tabou social autour des règles reste vivace, même en milieu urbain. Dans certaines familles, la femme menstruée est perçue comme « impure » et se voit écartée des tâches quotidiennes ou de certains lieux. « J’ai vu des jeunes filles exclues de leurs chambres ou empêchées d’aller à l’école pendant leurs règles », témoigne Mme Lima. « Même dans des environnements professionnels modernes, cette mentalité persiste, de façon sournoise. »
Vers une reconnaissance institutionnelle de la santé menstruelle
Si le Bénin n’a pas encore légiféré sur le congé menstruel, certains pays montrent la voie. En Espagne, une loi adoptée en 2023 autorise les femmes souffrant de règles douloureuses à prendre un congé spécifique. En Japon, cette mesure existe depuis les années 1950, même si elle reste peu utilisée par peur du jugement. En Zambie, le « congé de la mère » permet à toute travailleuse de prendre un jour par mois sans justification médicale. Pour Mme Lima, l’introduction d’un congé menstruel au Bénin est possible, mais doit s’accompagner d’une pédagogie adaptée. « Si on impose cela brusquement, sans concertation, certains employeurs vont s’en servir comme prétexte pour écarter les femmes. Il faut éviter toute forme de discrimination déguisée. » Elle recommande d’utiliser d’abord les dispositifs existants, notamment les congés maladie, et de les adapter progressivement à la réalité menstruelle. Au-delà du congé, c’est surtout l’environnement de travail qu’il faut repenser. « Une femme a besoin de toilettes propres, privées, avec de l’eau, et de la possibilité de se changer toutes les quatre à six heures », martèle-t-elle. Or, dans de nombreux bureaux, marchés ou ateliers, ces conditions minimales d’hygiène sont loin d’être réunies. Cela affecte non seulement la santé des femmes, mais aussi leur dignité.Faire de la santé menstruelle un levier de justice et de performance, c’est aussi former les employeurs, sensibiliser les collègues hommes, instaurer des espaces de dialogue au sein des entreprises. Des campagnes de communication ciblée, portées par le ministère du Travail ou celui de la Santé, pourraient contribuer à casser le silence. La perspective d’une réforme du Code du travail pour y inclure une disposition sur les troubles menstruels reste lointaine. Mais les dynamiques actuelles poussées par les ONG, les syndicats, les actrices sociales montrent qu’un changement est possible. Lentement mais sûrement, la parole se libère.
Briser le silence pour valoriser le potentiel des femmes
En définitive, prendre en compte la santé menstruelle au travail, ce n’est pas accorder un privilège, mais répondre à un besoin fondamental. C’est reconnaître que les femmes ont des réalités biologiques spécifiques, et qu’il est injuste de les ignorer. C’est aussi investir dans la performance : une femme qui travaille dans de bonnes conditions est plus concentrée, plus motivée, plus efficace. « Il faut oser parler », conclut Mme Lima. « Tant que les règles resteront un sujet honteux ou marginal, elles continueront d’être une source d’inégalité. C’est une question de dignité, de justice sociale, mais aussi d’économie. » Dans un monde du travail en pleine mutation, où l’inclusion devient une valeur centrale, il est temps que le Bénin fasse de la santé menstruelle une priorité visible et assumée.
Victorin FASSINOU