Dans un contexte où les réseaux sociaux se sont imposés comme un champ d’action incontournable, l’Alliance Droits et Santé (ADS) œuvre à repositionner la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) dans une logique de responsabilité et de protection. Avec CeRADIS et d’autres partenaires, elle promeut une communication qui dénonce sans exposer, informe sans nuire, et replace la dignité des victimes au cœur du discours militant.
À l’ère des réseaux sociaux et de la communication instantanée, la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) s’invite désormais dans le champ numérique. Mais si Internet est devenu un puissant levier de sensibilisation, il expose aussi les victimes à de nouvelles formes de vulnérabilité. Comment défendre leurs droits sans violer leur intimité ? C’est à cette équation délicate que les organisations de la société civile béninoise s’attellent, dans un contexte de durcissement du cadre juridique et de montée en puissance du numérique. Les campagnes numériques contre les VBG ont révolutionné la manière de militer : vidéos, témoignages, hashtags et partages massifs permettent d’alerter l’opinion publique et de briser le silence. Mais ces mêmes outils peuvent aussi devenir des armes contre les victimes, lorsque des données personnelles sont diffusées sans consentement ou que des récits intimes sont exposés pour susciter l’émotion. Selon Simplice Metonou, chargé des programmes à CeRADIS ONG, « il ne suffit pas de vouloir faire du bien à la victime ; il faut aussi veiller à ne pas violer ses droits en publiant de manière abusive ses données personnelles ».La phrase résume tout le dilemme des militants à l’ère du numérique : comment témoigner sans trahir, dénoncer sans exposer, informer sans nuire ? Dans les faits, certaines organisations locales continuent, par ignorance ou par maladresse, de publier des photos, des prénoms ou des détails pouvant permettre d’identifier les survivantes. Or, ces pratiques peuvent compromettre des enquêtes judiciaires, renforcer la stigmatisation sociale et même mettre les victimes en danger.
Le Code du numérique, un cadre encore méconnu
Adopté en 2017, le Code du numérique au Bénin fixe des règles strictes sur la collecte, le traitement et la diffusion des données personnelles. Il exige notamment que toute personne concernée donne un consentement éclairé avant que ses informations ne soient publiées. Mais la réalité montre que ces principes restent encore mal maîtrisés au sein des organisations communautaires. C’est pour combler cette lacune que CeRADIS ONG, sous la coordination du réseau Alliance Droits et Santé (ADS), a organisé, les 9 et 10 octobre 2025 à Ouidah, un atelier consacré à « l’occupation judicieuse de l’espace civique dans la lutte contre les VBG et le respect du Code du numérique ». Durant ces deux journées, une trentaine de participants issus du Scoutisme béninois, du BACAR, de Wildaf, de Solutions ONG et du GABF ont échangé autour des obligations légales, de la confidentialité et de la responsabilité morale des acteurs.
Le juriste Landry Adelakoun, formateur principal, a insisté sur l’importance de maîtriser les contours de la législation : « Nous avons visité le cadre légal et institutionnel de l’espace civique au Bénin. Les réformes en cours traduisent une volonté d’assainir le secteur, mais elles imposent aussi une rigueur nouvelle à tous les acteurs. ». Dans un environnement numérique où tout circule et se déforme à la vitesse de la lumière, les ONG ne peuvent plus se contenter de la seule bonne volonté. La lutte contre les VBG exige désormais une culture numérique éthique. Cela passe par des formations, des protocoles internes et des mécanismes de contrôle avant toute diffusion publique.
ADS impulse une éthique numérique de la protection
Evyline Ouensavi, commissaire générale du Scoutisme béninois, reconnaît que l’atelier de Ouidah a changé sa perception du militantisme en ligne : « C’est cette rencontre qui nous a permis de nous imprégner du contenu de la nouvelle loi. Désormais, nous saurons où poser les pieds, quoi faire et quoi ne pas faire. ». Les témoignages abondent : beaucoup d’acteurs découvraient pour la première fois que la simple publication d’un témoignage non anonymisé peut valoir une sanction légale. D’autres ont pris conscience des risques liés au stockage non sécurisé des données de victimes. En somme, la protection des droits humains passe désormais aussi par la maîtrise des outils numériques. Loin de diaboliser la technologie, les participants à la formation ont convenu que le numérique reste un formidable catalyseur de changement. Il permet de documenter les abus, de créer des réseaux de soutien et d’amplifier la voix des victimes. Mais pour qu’il soit un outil d’émancipation, il doit être utilisé avec discernement et respect. Bénédicte Gbaguidi du BACAR résume ainsi la responsabilité collective qui incombe aux ONG : « Nous devons dénoncer les dérives, encourager les bonnes pratiques et travailler avec espoir et responsabilité. ». C’est dans cet esprit que CeRADIS ONG et ses partenaires, sous la coordination d’ADS, entendent poursuivre la sensibilisation des acteurs de la société civile. L’atelier des 9 et 10 octobre 2025 à Ouidah n’était qu’une étape : il a planté les germes d’une conscience collective autour de l’éthique numérique. Leur ambition est claire : faire du numérique non plus un terrain d’exposition involontaire des victimes, mais un espace sécurisé où les droits humains s’affirment et se protègent. Le combat contre les violences basées sur le genre ne se joue plus seulement dans les salles d’audience ou les villages reculés. Il s’étend désormais aux plateformes virtuelles, où l’image d’une victime peut circuler en quelques secondes et marquer durablement sa vie. D’où l’urgence de bâtir une éthique numérique partagée, où chaque acteur ONG, journaliste, militant ou internaute se fait gardien du respect et de la dignité d’autrui.
Victorin FASSINOU