Au Bénin, l’accès au certificat médical reste un véritable parcours d’obstacles pour de nombreuses victimes de violences basées sur le genre (VBG). Ce document, pourtant essentiel à la reconnaissance des faits et à l’ouverture d’une procédure judiciaire, peine à jouer pleinement son rôle dans les mécanismes de protection. Entre complexités administratives, délais d’attente et obstacles économiques, la prise en charge reste à améliorer de manière urgente.
Outil juridique et médical de première nécessité, le certificat médical constitue souvent la toute première preuve tangible dans les cas de violences sexuelles ou autres formes de brutalités. Il matérialise les sévices subis, donne une valeur légale aux témoignages et permet à la victime d’enclencher une action en justice. Pourtant, dans la réalité quotidienne, il demeure l’un des maillons les plus fragiles de la chaîne de prise en charge. Conformément à l’arrêté interministériel signé par les ministères concernés, les victimes disposant d’une réquisition peuvent obtenir gratuitement ce certificat dans les structures sanitaires publiques. Le texte est sans ambiguïté : « Le délai maximum de délivrance et de retrait du certificat médical est fixé à dix (10) jours ouvrés. Le défaut de délivrance dans ce délai constitue une faute professionnelle susceptible de sanctions disciplinaires. » Ce cadre réglementaire, en apparence protecteur, devrait garantir une réponse diligente. Mais dans la pratique, les failles sont nombreuses.
Quand l’exception devient la norme
Sur le terrain, les victimes de violences, souvent traumatisées, doivent franchir une série d’obstacles. Il faut d’abord porter plainte, souvent dans un contexte d’intimidation ou de pression sociale, se rendre au poste de police, obtenir une réquisition, puis identifier un centre de santé habilité à délivrer le certificat médical. Or, dans plusieurs localités, ces structures sont rares, parfois éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres.
Bien que la gratuité soit prévue, elle n’est que partiellement appliquée. Pour une survivante sans appui familial ni ressources économiques, ces exigences deviennent vite dissuasives. Dans certains cas, des victimes renoncent tout simplement à porter plainte, faute d’avoir pu faire constater médicalement les violences subies.
La lenteur de la prise en charge médicale constitue également un problème majeur. Comme le reconnaît le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin : « Il est impérativement souhaité que, dans les deux heures suivant leur arrivée, les victimes soient prises en charge pour la préservation des preuves, les soins et la délivrance du certificat médical. » Ce délai, pourtant crucial pour garantir l’efficacité des enquêtes judiciaires, est rarement respecté, par manque de personnel formé ou de dispositifs d’accueil d’urgence. Pour de nombreuses associations de terrain, il est temps de réformer le dispositif actuel, jugé trop rigide, inégalitaire et parfois traumatisant pour les victimes. Parmi les voix qui portent, celle d’Hermine Bokossa, spécialiste en genre et gestionnaire de projet, plaide pour un changement de paradigme. « Il faut des solutions flexibles, qui tiennent compte du vécu et des contraintes des survivantes. Le certificat médical doit être un levier d’espoir, non une épreuve supplémentaire », affirme-t-elle avec conviction.
L’une des pistes évoquées est la généralisation des CIPEC-VBG – Centres intégrés de prise en charge des victimes de violences basées sur le genre. Ces structures visent à offrir, dans un même espace, une réponse coordonnée aux besoins multidimensionnels des victimes : assistance médicale, accompagnement psychologique, conseil juridique, écoute sociale et hébergement d’urgence. « Il est indispensable d’avoir des centres d’accueil et une prise en charge holistique dans chaque département. Ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité humaine et institutionnelle », insiste Mme Bokossa. Ces centres constitueraient une véritable avancée dans l’accessibilité des services, en particulier pour les femmes et filles vivant dans des zones rurales ou reculées.
Un impératif de justice et de dignité
En parallèle, un effort accru de sensibilisation devrait être mené auprès des agents de santé, des policiers, mais aussi des autorités locales, pour déconstruire les préjugés encore trop présents autour des violences faites aux femmes et aux enfants. Le silence, la peur, la stigmatisation ou le refus de témoigner des proches sont autant d’éléments qui prolongent la douleur des survivantes.
Le certificat médical ne devrait jamais être un luxe inaccessible, encore moins une épreuve administrative de plus. Il devrait incarner l’engagement de l’État à protéger les plus vulnérables, à rétablir les droits bafoués, à reconnaître les souffrances. Sa gratuité, bien que prévue par les textes, doit devenir une réalité concrète sur tout le territoire, y compris dans les zones rurales reculées. La lutte contre les VBG ne peut être effective si elle laisse de côté l’un de ses piliers fondamentaux. Garantir un accès rapide, gratuit, confidentiel et humain au certificat médical, c’est offrir à chaque victime une chance de se reconstruire, de parler, de porter plainte, de voir la justice faire son œuvre. Car derrière chaque certificat, il y a un corps blessé, un être humain meurtri, un cri souvent longtemps étouffé, et l’espoir fragile d’une réparation.
Victorin FASSINOU
(Avec le soutien de CeRADIS-ONG, Membre de l’Alliance Droits et Santé)