Dans un contexte où les questions de bien-être et d’équité au travail gagnent en visibilité, la santé menstruelle reste encore largement ignorée, voire taboue, dans les milieux professionnels. Pourtant, elle concerne directement des millions de travailleuses et influence leur productivité, leur confort et parfois même leur maintien dans l’emploi. Assistante sociale à la retraite et communicatrice en santé, Mme Béatrice Lima est aussi spécialiste des questions de communication en santé et en environnement professionnel. Elle est souvent invitée à partager ses connaissances sur des sujets comme la santé, le harcèlement au travail ou d’autres problématiques sociales importantes. Dans cet entretien, elle lève le voile sur les réalités souvent silencieuses que vivent les femmes pendant leurs règles en milieu professionnel. Elle évoque les douleurs et malaises physiques, la charge mentale, les jugements sociaux, l’insuffisance d’aménagements spécifiques et le besoin urgent d’un changement de regard. Elle invite à repenser les environnements de travail à travers une approche plus humaine et respectueuse des besoins physiologiques féminins.
Comment analysez-vous les effets de la menstruation sur la productivité des femmes dans le milieu professionnel ?
Il faut d’abord comprendre ce qu’est la menstruation. C’est un phénomène naturel du corps féminin. Quand la fécondation ne se produit pas, la muqueuse utérine, appelée endomètre, est évacuée : c’est ce qui entraîne l’écoulement sanguin qu’on appelle les règles. Mais au-delà de cet aspect biologique, il y a des effets physiques et émotionnels qui influencent la productivité : douleurs abdomino-pelviennes, maux de tête, seins sensibles, irritabilité… Certaines femmes souffrent tellement qu’elles ne peuvent pas aller au travail. Et si elles ne sont pas comprises ou si on leur refuse une autorisation d’absence ou de soin, elles perdent en performance. L’anxiété et la douleur réduisent leur rendement.
Existe-t-il une disposition légale pour un congé menstruel ?
Non. Il n’existe pas de congé menstruel en tant que tel. Seuls les congés de maladie sont prévus. Et encore, cela varie selon les secteurs. Dans la fonction publique, une femme peut obtenir deux ou trois jours de repos avec un certificat médical. Dans le privé, c’est plus difficile. Certaines entreprises hésitent même à recruter des femmes à cause de ces absences possibles.
Les règles sont-elles encore taboues dans le monde professionnel ?
Le tabou est d’abord social. Dans certaines communautés, la femme menstruée est perçue comme impure. On l’isole, on l’exclut du foyer. J’ai vu des villages où une case est réservée aux femmes pendant leurs règles. Même les fillettes, dès 10 ans, subissent cela. Et dans les villes aussi, malgré une apparente modernité, certaines croyances persistent. J’ai entendu des hommes demander à leur épouse de ne pas entrer dans leur chambre à ces moments-là. Ce n’est pas tant un tabou administratif qu’un malaise sociétal. Mais cela a des répercussions dans les écoles, où des filles manquent de protections hygiéniques et finissent par abandonner les cours.
Que peuvent faire les employeurs pour mieux prendre en compte cette réalité ?
Il faut des actions collectives. J’ai récemment échangé avec des syndicalistes sur ce sujet. Ce sont les syndicats qui doivent porter la question dans les négociations. On peut discuter d’un aménagement des congés, ou au moins de meilleures installations sanitaires pour les femmes. Une femme menstruée a besoin de se changer toutes les 4 à 6 heures. L’entreprise prévoit-elle cela ? Il faut des toilettes dignes, privées, accessibles. Cela doit faire partie des politiques de bien-être au travail.
Pensez-vous que le congé menstruel est envisageable au Bénin ?
Oui, c’est envisageable. Mais il faut avancer avec prudence. Même si on n’appelle pas cela un « congé menstruel », on peut se servir du cadre existant des congés de maladie. Car les douleurs menstruelles sont bien un problème de santé. Certains pays ont déjà mis cela en place. Pourquoi pas nous ? Il faut juste éviter de créer une nouvelle forme de discrimination dans un contexte déjà défavorable à l’emploi féminin. Il faut avancer avec pédagogie et bon sens.
Que recommandez-vous pour faire de la santé menstruelle un levier d’égalité professionnelle ?
La sensibilisation doit continuer. Le ministère de la Famille fait un travail auprès des jeunes filles dans les collèges. C’est important. Mais il faut aller plus loin : toucher les administrations, les entreprises, les syndicats. La Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, célébrée le 28 mai, est une bonne occasion pour ouvrir le dialogue. Il faut oser parler. Oser nommer ce que vivent des millions de filles et de femmes chaque mois. C’est une question de dignité, de justice et aussi de productivité. Car une femme à l’aise dans son corps est une femme efficace dans son travail.
Réalisé par Victorin FASSINOU